Une jeunesse allemande de Jean-Gabriel Périot

 

Une plongée documentaire dans le parcours des fondateurs de la bande à Bader. Autrement connue sous le nom plus romantique de bande à Baader, La Fraction armée rouge a constitue à partir de 1968 l’œil du cyclone contestataire en Allemagne de l’Ouest Prenant sa source dans les mouvements étudiants concomitants à ceux des droits civiques aux Etats-Unis ou de Mai 68 en France, elle a d'abord usé de moyens artistiques, journalistiques (films militants, revue Konkret...) avant d’incarner l'une des forces d’action les plus redoutables des années de plomb, propageant au sein de la jeunesse germanique des velléités de guérilla urbaine et perpétrant vols, braquages et attaques de bâtiments publics.

Entièrement construit à partir d’archives, Une jeunesse allemande restaure le fil conducteur de ces années, de la douce ferveur universitaire à l’opiniâtreté morbide de l'action terroriste en compilant extraits d'actualités télévisées et de débats, films avant-gardistes tournés par ceux qui plus tard prendront les armes, bouts de vidéo glanés ici et là (avec notamment une séquence autofictionnelle mettant en scène Fassbinder et sa mère), autant de régimes de production d’images a priori hétérogènes, voire adversaires, que Jean-Gabriel Périot arrange pourtant en un continuum étonnamment fluide, une bande historique dont tous les blocs parviennent de façon saisissante à se coaliser en un seul corps grâce à une équation simple mêlant qualité des ressources, intelligence du sujet et travail titanesque au montage.

Car c'est bien du fait de ce travail de fourmi, de cette minutie de mosaïste que se dessinent les motifs généraux du film, contours d'images plus indicibles et hors du domaine du filmable, que l’assemblage du puzzle trace avec une remarquable netteté glissement de la logique politique à la logique militaire, commodité malsaine du terme terroriste , consentement à la coercition policière savamment soutiré à tout un pays, mise en scène médiatique de la traque d’une poignée de parasites désignés.

Une jeunesse allemande est particulièrement beau par sa manière de pister la figure d’Ulrike Meinhof qui semble appartenir à tous les mondes dépeints par le film, révélée dans le calme dialectique des débats télévises, reparaissant à peine plus tard dans le chaos des guérillas. Son indéfectible moue écœurée dit bien à quel point l’engagement de ces jeunesses rouges tient de la nausée, du dégout de vivre à l’intérieur du système qu'on s'obstine à combattre, et l’issue tragique de la bande, malgré son caractère inacceptable, prend avec elle une connotation étrangement libératrice : enfin, quitter l’enfer.

 

Théo Ribeton
Les Inrocks
14 octobre 2015